Un clin d’œil à « Dellamorte » pour sa relation avec les oiseux et le monde des animaux.
…Bab pour le jardin et Caroline O'Neal pour "la dame aux oisillons".
Ton âme est-elle prête à me suivre...
Dans un parc, un enfant et un Paon se sont approchés de moi.
Le parc, celui de Mariemont où, allongé sur un gazon tendre,
admiratif et attentif au paon qui s’apprêtait à quitter la branche
d’un immense sapin, j’attendais l’envolée. A plusieurs reprises,
celui-ci avait lancé son appel : « Léon, Léon », me dévoilant ainsi
son perchoir. L’air était chaud, les Magnolias Grandiflora épanouissaient
leurs fleurs délicates au cœur des mains chaleureuses d’un soleil d’été.
Avant que d’atteindre le pré vert face à la serre dont certaines vitres
renvoyaient, ici et là, une étoile de lumière, différents sentiers jalonnés
de plantes exotiques s’étaient déroulés sous mes pas, chacun offrant
généreusement son atmosphère particulière. Ici, ensoleillée et fleurie
sous un ciel bleu clair. Ici, agrémentée de l’Araucarias du Chili, du
Pommier de l’Amour, de l’Epicéa du Colorado… Ici, ombragée et plus
fraîche sous de hautes frondaisons où la main rencontre l’écorce
spongieuse des séquoias. Ici, animée d’un couple se tenant par la taille,
lui guidant une poussette, elle désignant un banc de bois, tous deux
partageant le bonheur d’être parents. Ici, quelques vieux qui ont décidé
de laisser la vieillesse à d’autres. Ici, une femme seule se dirigeant
vers le jardin des roses, me souriant au passage… Prévert lorsqu’il
écrit : « Mangez sur l’herbe, dépêchez-vous, un jour ou l’autre l’herbe
mangera sur vous », était-il sur un pré vert comme celui-ci ? Ce jeu
de mots avait traversé ma pensée dès que j’eus posé pieds sur ledit pré.
L’envolée était proche…
Le paon se jeta dans les airs pour, en quelques coups d’ailes, atterrir
non loin d’un groupe d’enfants jouant au ballon. Remarquable oiseau
pour tout quiconque ayant assisté au déploiement de son éventail de
plumes aux multiples yeux. Lorsqu’il se pavane, c’est tout un charme
mythique de l’Asie qu’il manifeste. D’ailleurs, n’était-il pas souvent
représenté en roue solaire où chaque regard gravé sur ses plumes
semble contempler l’émerveillé, la tête ornée d’une aigrette des plus
singulières couronnant une noble reconnaissance en guise d’un
épanouissement manifesté ? Sans trop y réfléchir, l’association paon -
Bouddha (situé de l’autre côté du parc) me paraissait évidente. Un lien
avec le dieu Pan avait probablement traversé en un éclair mon esprit...
Quelle Déesse avait coloré de soie son chatoyant plumage, vins-je à
penser quand un espiègle bambin de douze ans s’est approché de moi.
« C’est un frisbee, n’est-ce pas ? ». L’intensité de son regard était celui
que provoque souvent une friandise ; celui de l’enfance devant un
bonbon, celui de l’adolescence devant la dernière mode … Je répondis
par l’affirmative. « Je peux l’essayer ? ». Je lui tendis le frisbee et
l’encourageai : « crois-tu pouvoir atteindre le pied de cet arbre, là-
bas ? ». Il estima la distance et, déjà, l’engin planait en direction de
la cible, poursuivit du frisbeeman qui, dans sa course, sans y prêter
l’attention, croisa le majestueux ailé. Ce dernier, d’une fière allure
se dirigeait vers un arbre dont les branches paraissent sortir du sol,
à une vingtaine de pas d’où j’allongeais l’observation. « J’y étais
presque mais il a dévié vers la gauche ! ». Le môme était déjà à mes
côtés. « Vous avez vu le paon ? La première fois que je suis venu ici,
je me suis demandé pourquoi ma mère criait si fort après mon père ;
il s’appelle Léon. En fait c’était lui » m’expliqua t-il en désignant
l’oiseau traînant avec grâce ses longues plumes. Cette plaisanterie
me fit éclater de rire ; ce qui renforça l’engouement du petit bonhomme.
L’amitié lançait ses ponts...
Pendant que nous échangions quelques idées sur la dextérité du lancé
de frisbee, l’oiseau se rapprochait de nous jusqu’à se tenir à un pas
du môme. « Salut Pavo Cristatus ! » lança-t-il à l’animal qui le fixait,
à présent, cou tendu. « On se retrouve toujours ici, puis, je l’accompagne
jusque cet arbre aux grosses branches et on discute un peu. Je vous
ai déjà vu avec lui, même qu’une fois il s’est posé sur l’épaule de votre
fille ! ». Le môme déversait ses épisodes à l’allure des rapides ; une
déferlante succession de petites cascades, rebondissant comme l’eau
des rivières sur la moindre pierre. « Un prodigieux oiseau
effectivement ». Je remarquais que le paon n’avait pas bougé de
position, comme s’il attendait une initiative du môme. J’hasardai :
« Quels sujets abordez-vous ensemble ? ». Après un temps de réflexion
des plus courts, le regard étincelant, il délivra son secret : « La dernière
fois, je lui demandais ce qui nous séparait des étoiles ». Voilà qui était
des plus intéressants… « Et qu’avançait ton ami ? ». « Quelque chose
comme : qu’est-ce qui nous y relie… ». De plus en plus intéressant,
je ne pouvais que l’inviter à poursuivre : « C’est bien ce qui est
merveilleux avec la nature de ce parc, je te l’accorde : le végétal et
l’animal nous invitent aux raccourcis les plus simples ! As-tu trouvé
la solution de ton énigme ? ». Le môme observa le paon et répondit :
« En partie, c’est pour cette raison qu’il m’attend ; on doit encore en
parler ». Outre cette répartie inattendue, le tableau à lui seul était
déjà extraordinaire. Le calme posé de l’oiseau et la vivacité du môme
font que j’avançai, en vue d’une réponse plus explicite : « une question
de regard peut-être ? ». Le visage du gosse s’illumina et la réplique
tomba : « Tout juste, ce sont les yeux de ses plumes qui m’ont expliqué
cela ! ». « Tu veux dire que par ton observation et l’attitude de ton ami,
tu es arrivé à déduire que ce qui nous sépare ou nous relie aux étoiles
est une question de regard ? ». « C’est çà. Maintenant il reste à aller
plus loin ! ». « Et bien, avec un prof hors du commun au cœur du livre
de cette nature et, voyant l’insistance avec laquelle il t’invite, tu devrais
l’accompagner sans attendre et poursuivre l’aventure de cette
merveilleuse compréhension ». Et, sans attendre, il engagea le pas
« Oui, allons-y Pavo ! » et se tournant vers moi : « A tantôt pour un
frisbee ».
Allongé et appuyé sur l’avant bras, je regardais le môme et le paon
s’en aller auprès du grand arbre. Voilà bien un spectacle qui donnait
à l’enseignement des perspectives des plus originales.
Il serait très certainement des plus profitables, autant pour l’étudiant
que l’enseignant, de sortir des murs coutumiers afin de pénétrer plus
en avant la poésie de la vie. (En écrivant ces lignes, je pense à mon
ami Phil et ses essais bousculant remparts tracés depuis des lustres
et trajectoires figées de l’enseignement. Me revient aussi l’enseignant
du film « Song for a raggy boy ») Combien de pages contenait donc
le livre de la nature ? Assurément, répondrait le poète, autant que
les étoiles et plus encore : une infinité qui se déploie sans cesse ;
bien évidemment !
Je m’allongeai sur le dos, mains derrières la tête et laissai vagabonder
les images que le môme et le paon engendraient à leur insu…
Surgissait de la mémoire du temps l’image de, pour reprendre
l’expression du môme, « m’avoir vu en compagnie de ma fille, le paon
sur son épaule ». Moment impressionnant : elle était haute comme
trois pommes, tout au plus cinq ou six ans et, le paon avait effectivement
bondit pour se percher sur son épaule… Surgit également un autre
chapitre avec un oiseau beaucoup plus petit, un moineau, à vrai dire.
En terrasse, il nous apparut jouant avec Charlotte, à même le sol, alors
qu’elle marchait encore à quatre pattes, lange aux fesses. Une dizaine
de minutes tout au plus et il repartait dans le ciel bleu… Naissait ensuite,
mélange de mémoires et de réflexions, l’approfondissement sur la
formule « question de regard » et, a fortiori, les altitudes progressives
des points de vue. Ce n’était point le nombre précis d’yeux qui
m’importait, mais l’éclat et la disposition de ceux-ci sur l’éventail de
plumes du paon qui me portèrent aussi d’évidence en évidence, de
compréhension en compréhension, d’étoile en étoile, là, allongé sur
une page verte du livre ouvert de la nature, le regard ailé. Il y avait
des îles dans ces ailes là. Il y avait des univers dans ses yeux de soie…
Ton âme est-elle prête à me suivre au sein même des prés, parcs et
bois ? Même ceux que tu crois connaître, tu les verras sous un autre
œil, je te montrerai qu’il y a de l’invisible vie, je te dirai ce qui n’a
jamais été dit ! Parole de Paon !
Image : Linternaute.com - fond écranAvec joie,
Xavier.